Art Critics Texts

/Ghost in the Shell /On Julien Bayle’s work/

François Larini, 2015

When landing into artists’ hands machines, particularly those designed to create visual and audio artifacts, become magical objects, ‘charged’ entities…

While brushes or violins allow us to guess – through their shape and history – what may come out of their handling, even before painters or musicians have yet grasped them (one visualizes bristles dipped into the paint, one anticipates a mark on the canvas, strings vibrating or wood echoing); laptops or modular synthesizers, on the contrary, work the other way round. The potential they hold remains totally invisible to us, dissimulated under their shells. Whether on hold, flashing or buzzing slightly, they are waiting…

Mystery is maintained as the performance begins and the sound piece kicks off. For an audience who is not familiar with this kind of gear, these connected and luminous cases may just look like medical or office equipment. As for the artist’s action and posture, just in front of the screen, they may seem like those of an industrial assembly line worker or a trader in a dealing room: he presses keys and manipulates a mouse while gazing at the screen.

And suddenly, beyond any mechanical rationality or other process of engineering, something emerges. It contacts all of our senses and perceptive abilities: beyond sound and sight. Vibrations and rhythms interact with our organism as a whole: the lowest and most dense frequencies resonate inside our stomach while the rhythmical instability – whether planned or resulting from chance processes – comes in to contradict and provoke the various natural rhythms that inhabit our bodies.

To locate Julien Bayle’s work, one could refer to history, to Marinetti and Russolo’s Futurism. One could mention about Duchamp, think of Rauschenberg and Klüver who, when founding Experiment in Art and Technology (E.A.T.) back in the 60s, placed artists and engineers on an equal footing. One could call on artists such as Carsten Nicolai, Ryoji Ikeda or Haroon Mirza (to mention just a few major influences) and note that obviously Julien Bayle’s work fits in the line of a beaconed artistic history and aesthetics path which, since emerging at the beginning of the 20th century, have been closely linked to the technical and industrial developments of our western societies and capitalist economy. One could mention its dual perspective, both scientific and artistic, and try to understand how biology and computer sciences feed into and interfere with his practice. Alright… but what else?

While all of the elements mentioned above allow us to better understand and define his work, it is also important to know that Julien Bayle comes from Marseille (France). That may seem anecdotal (indeed, that probably is indeed!) and not necessarily perceptible through his work, and yet… Wandering across Marseille means being in several places at once, in one movement going across multiple strata and geographical, historic, sensorial spaces that apparently bump into one another, question one another, contradict and complete themselves. It means venturing on a fragile line between chaos and structure, between a specific area and the multiple worlds to which it belongs and through which it exists. It means finding an exit, a center, an axis, within an archipelago without center or edges, constantly re-configured by new inputs, unpredictable breaches…

From a city’s form to the piece’s format, this aesthetics of network, mutation, fragility, polycentrism and ubiquity provides many keys to understand his work.


Julien Bayle aka Protofuse
De nouvelles immersions dans le son, l’image et les processus génératifs

Christiane Armand (1), 6 avril 2015

Depuis le début des années quatre-vingt-dix, « l’ordinateur n’apparaît plus seulement comme un instrument mais comme une nécessité intrinsèque à l’œuvre (2) ». Les préoccupations artistiques de Julien Bayle, qui le conduisent à penser des intrications fortes entre le son et l’image, s’inscrivent dans ce rapport pertinent à la technologie.

Si la question de la relation dynamique entre le son et l’image n’est pas nouvelle dans l’histoire de l’art (3), le développement de logiciels de traitement en temps réel (4)de données tant sonores que visuelles permet de situer ce rapport à un niveau plus élaboré. Ainsi, que ce soit dans les installations conçues par Julien Bayle ou dans ses performances live, les systèmes programmés semi-autonomes de l’artiste génèrent un son lui-même impliqué dans le processus génératif et le contrôle de l’image.

Julien Bayle utilise essentiellement comme matériaux des bits générés pseudo-aléatoirement et stockés dans une mémoire tampon. Le hasard intervient également lors de la lecture de cette mémoire et dans le déclenchement de rétro-actions. Le signal sonore produit, perturbé par différents procédés, est analysé en temps réel et génère des formes elles-mêmes déréglées par le son – comme dans Signal.interrupt (2014) –, ou altère une forme préexistante – comme dans Alpha (2014).

Les bits, traduits en signaux sonores, peuvent laisser sourdre des vrombissements de fréquences variées, des sons de glitchs, des bips, de la friture, des clics, des sonorités de grains. L’esthétique visuelle emprunte ses formes à l’esthétique minimaliste.

L’utilisation de processus aléatoires chez Julien Bayle n’est pas sans rappeler l’usage qu’en firent Marcel Duchamp, John Cage et Iannis Xenakis dans le domaine musical (5). Pour Julien Bayle, il ne s’agit pas de démissionner en tant que compositeur, mais de déplacer la question de l’intentionnalité dans l’acte créateur en déléguant une partie de la tâche à l’ordinateur que l’artiste considère comme un « partenaire ».

Julien Bayle explore l’idée du « définitivement inachevé » si chère à Marcel Duchamp en proposant des pièces visuelles et sonores qui ne sont jamais rejouées à l’identique, chaque relance du système produisant une œuvre inédite. Proposant ainsi des œuvres indéterminées appartenant cependant à un registre sonore et visuel en partie circonscrit – l’artiste évoque à ce propos un « hasard contrôlé » –, Julien Bayle convoque ce que nous pourrions appeler une esthétique des possibles.

Les expérimentations de Julien Bayle s’inscrivent dans une tendance en musique électronique qualifiée d’esthétique de l’échec (6) visant à utiliser les accidents inhérents à cette musique et exploitée dès les années 1990 par le groupe allemand Oval (Markus Popp), Ryoji Ikeda (Japon) et Alva Noto (Carsten Nicolai, Allemagne). Julien Bayle prolonge l’usage des défaillances numériques en contaminant l’espace visuel et en produisant des systèmes chaotiques – les interactions programmées pouvant conduire à un emballement du système et entraîner la rupture de ce dernier.

Si le processus occupe une place importante dans le travail de l’artiste, l’impact de l’œuvre sur l’auditeur-regardeur joue également un rôle notable. Les mobilités sonores, les mutations ultrarapides des formes visuelles demandent à l’auditeur-regardeur une attention accrue qui concourt à son immersion dans le dispositif. Convoquant à la fois les sens visuel et auditif, Julien Bayle tente de démultiplier les espaces perceptifs et de convoquer l’espace mental du spectateur en l’invitant à voyager au cœur du processus de l’œuvre sans jamais rendre toutefois ce dernier pleinement accessible.

Composer, pour Julien Bayle, c’est composer des interactions à la fois sonores et visuelles. S’interrogeant sur la nature du son et de l’image, l’artiste les définit comme des processus. Il aborde cette question dans une dynamique où chaque entité se définit par rapport à l’autre, à la perturbation qui l’affecte, à sa possible disparition.

(1)  Christiane Armand est docteur en Arts plastiques et sciences de l’art.
(2)  Claude Faure, « Mosaïque », Nouvelles technologies. Un art sans modèle ?, Art Press, Spécial Hors Série N°12, 1991, p.40.
(3)  Le cinéma abstrait des années 1920 a exploré les relations entre le son et l’image. Citons, entre autres, Opus IV (1925) de Walter Ruttmann.
(4)  Julien Bayle utilise notamment l’environnement technologique suivant : Ableton for Live, Max for Live, Max/MSP, Jitter, OSC, Internet streaming.
(5)  Citons Erratum musical (1913) et La Mariée mise à nu par ses célibataires, même. Erratum musical (1913) de Marcel Duchamp, Sixteen Dances (1950-1951) de John Cage, Metastasis (1953) de Iannis Xenakis.
(6)  Kim Cascone, « The Aesthetics of Failure: “Post-Digital” Tendencies in Contemporary Computer Music », Computer Music Journal, Vol. 24, N°4, Cambridge, Massachusetts Institute of Technology, Winter 2000, p.12-18.